Skip to main content

"L'Europe de l'Energie, c'est maintenant" (Le Monde) - Commentaires personnels suite à la relance de l'idée d'une Communauté Européenne de l'Energie

Alors que le Conseil Européen se réunit le 22 mai prochain, Jacques Delors, Martin Schultz, Sami Andoura, Jerzy Buzek et Antonio Vitorino publient une chronique commune dans le journal Le Monde daté du 20 mai 2013, chronique reprise sous divers formats dans d'autres journaux nationaux et européens. 

Ses auteurs en appellent a un "véritable changement de société dans nos modes de production, de transport et de consommation d'énergie" afin d'assurer la transition énergétique. Ils y définissent une condition au succès de cette dernière: "y associer la société civile en Europe", condition non explicitée. Plus fondamental, ils en appellent à la création d'une Communauté Européenne de l'Energie, dans la veine d'une autre communauté créée en 1951 autour du charbon et de l'acier. Toute chose devant être remise dans son contexte, essayons de comprendre où réside l'innovation de cette initiative.

L'appel le plus notable fait par le collectif d'auteurs est peut-être et surtout celui fait à plus de cohérence des initiatives et du cadre européens. Certes, cet appel souligne un manque de cohérence entre les politiques nationales, du fait de "choix politiques nationaux [qui] ignorent l'interdépendance réelle déjà existante avec les pays voisins", mais il me semble tout aussi important de souligner le rôle de l'UE - et de toutes ses institutions - dans la souvegarde de la cohérence de la politique énergétique européenne elle-même, l'exigence de cohérence étant d'ailleurs inscrite dans les Traités. L'UE a foisonné d'initiatives ces dernières années dans le domaine énergétique, avec une extension du domaine et volume d'activités qui s'est reflétée dans l'adoption du nouvel article 194 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne. La Commission a lancé plusieurs consultations ces derniers mois, et notamment sur la politique énergie et climat post-2030, sur l'avenir de la politique europénne de captage et séquestration du CO2, sur les technologies de l'énergie et la politique européenne d'innovation, ou encore sur la révision des lignes directrices sur les aides d'Etat dans le secteur de l'environnement (qui couvrent aussi les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, etc.). La liste ne s'arrête pas là mais suffit à traduire un exercise tant de consultation que de réflexion qui est en cours au sein de l'UE sur les dossiers énergétiques, et qui doit être mené sous le signe de la cohérence. En parallèle, l'UE continue son action au travers des mêmes vieux instruments telle que la politique de concurrence afin de protéger ses industries des coûts élevés des importations énergétiques (cf. procédure antitrust contre Gazprom ouverte en septembre 2012 ou récentes inspections dans le secteur pétrolier en Norvège contre Statoil). 

Il y a donc un véritable besoin d'assurer la cohérence des initiatives de l'UE entre elles en parallèle à un travail sur le mode de coopération entre Etats Membres. "Solidarité" et "coopération" sont devenus les nouveaux mots clefs tant dans les Traités que dans le droit dérivé européen. Tout le monde reconnaît que les gouvernements des Etats de l'UE n'ont ni les mêmes ambitions ni les mêmes moyens - financiers ou de ressources naturelles - en matière de politique énergétique. Encore une fois, tant les Traités que le droit dérivé permettent la mise en oeuvre de modes de coopération à géographie variable entre Etats Membres afin que de petits groupes d'Etats puissent aller plus vite et plus loin sans forcément attendre les autres. Une approache basée sur l'intégration régionale est fortement promue dans le dernier paquet énergie. Le défi est alors de sauvegarder un équilibre essentiel pour la survie du projet européen entre le minimum commun (marché intérieur de l'énergie) et des formes de "coopérations renforcées" entre Etats Membres dans le domaine énergétique

On peut aussi se demander si l'initiative d'une Communauté Européenne de l'Energie s'appuie sur un projet plus ambitieux que celui présenté par la Commission, dans la limite des pouvoirs conférés à cette dernière par les Traités. Une démarche ponctuée d'"avancés communes et concrètes autour des trois dimension majeures que sont les compétition entre opérateurs industriels qui stimule, la coopération entre Etats qui renforce et la solidarité europénne qui unit" n'est autre d'une reformulation des objectifs déjà adoptés, bien que pas toujours atteints.

Ainsi, le principal apport de l'initiative semble être du côté de l'activation d'une politique commune de l'énergie au plan interne et externe pour pallier à des "initiatives fragmentées". Tous les instruments cités en exemple ont déjà été testés à petite ou grande échelle, mais il est aujourd'hui question d'étendre leur champs: "mise en commun de certaines capacités d'approvisionnement", "négocier au niveau de l'UE les accords-cadres nécessaires avec les pays fournisseurs et de transit", approche régionale de l'intégration du/marché(s) énergétique(s).

Les idées exposées dans la chronique du Monde étaient déjà formulées dans un rapport rédigé par l'Institut Jacques Delors Notre Europe et daté d'avril 2010: "Vers une communauté europénne de l'énergie". Il faut voir dans la chronique commune du Monde une continuation de la réflexion engagée dans ce document qui, lui, doit servir de référence. Les paramètres juridiques fondant l'action de l'UE n'ayant pas changé depuis, il est bien question d'une activation de la politique énergétique européenne, en se servant de la lettre même des Traités, pour être en mesure de faire face à un monde qui, lui, est en mouvance au grès des nouveaux flux de productions sur le marché mondial (gaz de schiste, ressources non conventionnelles, exploitation accrue de gisements existants), des futurs demandes en consommation des marchés de l'Asie du Sud Est à l'horizon 2018, des coûts contrôlés ou non de la pollution (politiques changements climatiques) et de l'accès à l'énergie tant dans les pays industrialisés que ceux en voie de développement.

Crédit photo: The Berlaymont building with "Connecting the European Energy Market" banner (c) Union Européenne

Comments